Terres d'intuition

Maître de mon chien, maître de ma vie

 
 
Si l’on m’avait demandé, dans les mois de recherche puis d’attente qui ont précédé l’arrivée de ma chienne dans ma vie, quel était le pire scénario qui pourrait arriver, j’aurais répondu sans hésiter : un chien qui aboie de façon intempestive.
 
Pourquoi le pire ? Après tout, j’aurais pu dire un chien agressif, un chien qui me traine en laisse, un chien fugueur ou qui démolit régulièrement tout mon intérieur… Mais non. J’aurais choisi les aboiements. Chacun sa hantise !
Parce que mon calme et ma tranquillité sont des luxes que la solitude m’a appris à apprécier. Que mes activités nécessitent le plus souvent du silence et de la concentration et que les aboiements me privent des deux, m’empêchent de réfléchir, me font sortir de mes gonds. Le pire, parce que je ne supporte pas de déranger mes voisins, d’être la mauvaise élève du quartier. Le pire, parce que je n’aime pas attirer l’attention, qu’on me regarde et encore moins avec du jugement ou de la désapprobation.
 
Résultat : bingo ! Dès les premiers mois, alors qu’elle n’est encore qu’un chiot, Plume aboie déjà. BEAUCOUP TROP.
 
Non seulement j’ai un chien qui aboie, mais qui aboie fort, et systématiquement. Elle recourt à ce moyen pour exprimer à peu près toute la palette des émotions : faim, envie de sortir, peur, curiosité, agacement, incompréhension, frustration, jeu, excitation… mais aussi pour obtenir et exiger mon attention exclusive, allant jusqu’à m’empêcher d’avoir une conversation avec une autre personne, de m’approcher d’un autre chien, de faire un câlin ou de m’adresser à quelqu’un (même au téléphone).
 
Au début j’étais persuadée qu’il s’agissait de lui « apprendre » des règles de fonctionnement, de lui montrer qu’elle pouvait faire autrement, de corriger des mauvais plis que j’avais forcément malgré moi occasionnés. Investissant du temps, de l’argent et de l’énergie, j’ai essayé beaucoup de choses : cours individuels et collectifs, communication animale avec plusieurs intervenants, éducation canine, lui apprendre la notion de silence, la distraire avec de la nourriture, des jouets ou de la recherche olfactive, douceur & renforcement positif, contrainte et isolement, j’ai même acheté un collier anti-aboiement (bip+vibration) et une formation en ligne (qui ne m’a rien appris que je ne savais déjà) dans un moment de désespoir.
 
Il devenait bien difficile de l’emmener avec moi, moi qui rêvais d’avoir un chien qui m’accompagnerait partout, qui pourrait rester sagement couché pendant mes séances de travail ou mes ateliers. Ma vie sociale et amoureuse en pâtissait, je ne recevais plus beaucoup chez moi, car ce n’était pas ok de passer toute la soirée à gérer mon chien plutôt qu’à profiter de mes invités.
À longueur de journée, je lançais des « NON » comme des SOS qui allaient se noyer, inutiles et vains, dans l’océan de ma détresse.Au menu de notre relation : frustration, déception, découragement. Culpabilité aussi.
Peut-être n’étais-je pas faite pour être sa maitresse ? Peut-être étais-je incapable de lui offrir les bonnes conditions pour en faire un chien équilibré ?
 
Tu te dis peut-être qu’en raison de mes compétences en communication animale, il m’est plus facile de comprendre et de « parler » à ma chienne. Oui et Non. D’un côté, notre connexion est très forte et elle « sait » que je la comprends intuitivement. Il y a aussi ces moments de grâce lorsque nous marchons en montagne sans croiser personne pendant des heures, et que soudain je l’entends distinctement par télépathie, et nous pouvons alors dialoguer en direct. Cela me procure un sentiment inouï de gratitude et de rencontre amoureuse avec le vivant.
De l’autre, il y a l’affect qui vient brouiller les pistes et me rendre moins objective qu’en consultation. C’est un peu comme un médecin qui soignerait son propre enfant. L’amour que je lui porte génère comme dans toute relation des projections, des schémas de fonctionnement limitants, des comportements inconscients hérités de mes propres vécus et référentiels d’éducation. Paradoxalement le fait qu’elle sache que je la comprends sur un plan plus profond que celui de la simple observation, la conduit souvent à demander, voire à exiger, ce qu’elle souhaite obtenir instantanément.
 
Evidemment, arriver à éclairer au quotidien des duos humains-chiens, être détentrice de nombreuses clés de compréhension dans le cadre de ma profession, et ne pas réussir à m’aider moi-même est venu allègrement nourrir ma frustration et parfois mon sentiment de manque de légitimité.
 
Il y a d’abord eu une grosse étape d’acceptation. « J’ai un chien qui aboie. » Bon. C’est comme ça. Pour l’instant. Ne plus voir cela comme un problème et cesser momentanément de trouver une solution m’a apporté de l’apaisement. Apaisement salutaire qui m’a permis de retrouver la capacité de l’aimer comme elle est. De voir aussi toute la chance que j’ai par ailleurs, de partager mon quotidien avec un toutou intelligent, endurant, qui répond au rappel, qui marche à mes côtés même sans laisse, qui sait rester seule sans souci et surtout qui déborde d’affection à donner.Il faut bien avouer que son physique de gros nounours nous a « sauvées » de bien des situations délicates. On pardonne beaucoup à une boule de poils si craquante ! (Et ça aussi, elle le sait).
 
J’ai alors remarqué qu’en mon absence, chez moi elle se tient tranquille et très sage en attendant mon retour (je l’ai même enregistrée pour vérifier), et lorsqu’elle est gardée par d’autres personnes, il n’est pas rare qu’on me dise qu’elle n’aboie pas davantage qu’un chien « normal » lorsque quelqu’un sonne ou en cas de grande excitation. Tiens donc ! Plume SAIT ne pas aboyer. Elle décide simplement de le faire ou quelque chose en ma présence fait qu’elle opte pour ce comportement.
Intéressant, non ?
 
J’ai commencé à appliquer méthodiquement ce que je pratique dans mes accompagnements animaliers et à me rappeler la posture de base qui pourrait se résumer en trois points :
1. Mon chien n’a aucun problème.
2. Il reflète seulement ce qui n’est pas encore aligné à l’intérieur de moi.
3. C’est sur moi qu’il faut agir pour avoir des résultats.
 
Cesser de regarder le problème à l’extérieur de soi et se tourner vers l’intérieur… Cette clé m’a sortie de toutes les impasses de ma vie, et c’était encore elle qui allait m’aider à trouver le chemin de la liberté et du plaisir relationnel entier avec mon chien.
Cela demande du courage et de l’honnêteté, cela demande aussi de ne pas écouter la voix du mental (celle qui adôôôre être victime et impuissante), la mauvaise foi et toutes les centaines d’explications à la fois rationnelles et tout à fait valables qui pourraient expliquer que nous en sommes arrivées là.
 
Alors le véritable travail a pu commencé. J’ai compris qu’elle ne faisait pas cela pour m’embêter, mais qu’elle traduisait mon insécurité, ma rigidité, mon besoin de contrôler. Sa façon de sur-réagir au moindre petit bruit, de percevoir le moindre battement d’aile comme une tempête, c’était mon hypersensibilité, ma capacité à ressentir avec un haut niveau de précision et d’intensité. Sa rapidité d’exécution et sa difficulté à gérer la frustration, c’était ma propre impatience, mon fonctionnement d’enfant précoce – multipotentiels qui m’a valu de toujours être en décalage, dans ma scolarité ou dans mes relations, de toujours me faire violence pour me mettre au rythme des autres. De cette impression étouffante que tout va très lentement autour de moi et que je vais mourir si je reste là. La place qu’elle prend et l’attention qu’elle attire sur elle volontairement, c’est toute la place que j’ai encore du mal à prendre et à assumer dans ma propre vie, car je me suis construite dans la discrétion, réservée, en retrait et en observation, alors qu’au fond, j’ai tellement de choses à partager, le désir profond d’être vue, lue et écoutée.
 
La liste serait longue et je vais m’arrêter là, je pense que tu as compris l’idée. Le travail c’était de voir et de reconnaître ce qui m’appartenait, avec bienveillance, pour que ces parts de moi puissent « faire retour », revenir à la maison. Qu’elles se sentent le droit d’exister, que je fasse la paix avec elles, parce qu’elles font partie de moi.
Le travail c’était aussi d’accepter de ressentir ce que je ressens, et de transformer certaines croyances limitantes pour libérer ma parole, mes actions et mon champ des possibles.
 
Cerise sur le gâteau : j’ai appelé ma chienne Plume. Non pas pour sa légèreté, même si la douceur de son poil aurait suffi à lui accorder le titre, mais parce que je suis aussi écrivain. C’est la Plume de l’écrivain. Et une plume d’écrivain, c’est fait pour s’exprimer ! Et après je m’étonne d’avoir un chien qui parle ^^ (rires au fond de la salle)
 
Dans mon chemin d’expression créative pas toujours fluide, semé d’embuches, de doutes et de manque de constance, il est pourtant vrai, bien vrai, que ma chienne n’aboie plus du tout lorsque j’écris.
Plume n’aboie pas non plus lorsque je suis totalement en paix, que mes pensées se taisent, que je goûte le simple plaisir d’être là, d’être cette humaine-là, sans vouloir être ailleurs, ou dans une version meilleure… Quand je suis en compagnie d’une personne avec qui je me sens totalement authentique, quand je ne m’excuse pas d’être qui je suis.
 
Cela aura pris plus de 3 ans. Le travail est encore en cours. Mais les résultats sont là.
 
Aujourd’hui je reçois de nouveau du monde chez moi, j’emmène parfois Plume dans des soirées en extérieur, et elle m’a récemment accompagnée en séance à domicile où elle a été exemplaire. Je suis fière d’elle, fière de notre duo d’ultra-sensibles qui manquent de codes pour s’adapter à cette société folle et ses humains coupés du vivant. Je n’envisage plus le monde sans elle et je suis honorée qu’elle soit venue m’accompagner, m’aider à grandir et à me révéler.
 
Ce n’est pas d’avoir un chien parfait qui rend notre relation unique et belle, c’est tout ce qu’elle m’apprend sur moi, au quotidien, tout ce qu’elle me permet de dépasser et d’expérimenter : me détacher du regard des autres, me désidentifier de la bonne petite élève qui fait tout bien et qui ne dérange personne, retrouver ma liberté d’être, me réconcilier avec la notion d’autorité…
 
J’ai longtemps été fâchée avec le mot « maître ». Je l’associais à l’idée d’exercer une domination. Mais il peut également être employé pour définir une personne compétente pour diriger, qui détient et exerce une autorité (guide, parent, responsable, leader…). Et l’autorité, c’est justement le pouvoir de décider, impliquant une notion de légitimité. Plume est devenue le baromètre de ma capacité à diriger ma vie, à décider où je veux aller et à me soutenir dans la direction que j’ai choisi d’emprunter. Elle m’aide à devenir le maître de ma propre vie. Pour cela, je ne lui dirai jamais assez merci.
 

Rechercher un article

Rechercher

Dernières publications

Votre demande