« Je t’envoie comme un papillon à une étoile,
Michel Berger
quelques mots d’amour »
Beaucoup d’entre nous s’engagent sincèrement dans un travail intérieur et se demandent au cours du parcours pourquoi ils se sentent si mal alors qu’ils font tout pour aller mieux. Il est tentant de croire que l’on fait fausse route quand la souffrance augmente, quand les relations s’effondrent, quand les murs tremblent et que le sol se fissure, révélant un abîme sans fond, duquel remonte des relents nauséabonds. Il est humain de vouloir que ça s’arrête, reprendre son souffle, être bercé comme un enfant qui peut abandonner son sort à ses parents. Nous avons bien sûr droit au répit.
Mais parfois celui-ci glisse vers une volonté de se faire du bien à tout prix. Si ça doit passer par avoir mal, non merci.
Le véritable retour vers soi n’a rien d’une croisière en mer illuminée, d’un océan de volupté ou du fantasme de fluidité qu’on y projette. C’est un chemin ardu, éprouvant, qui demande du courage, de l’honnêteté, qui va nous faire affronter nos peurs, traverser des espaces sombres, rencontrer cette puanteur qu’on avait camouflée sous des tonnes de jolis histoires parfumées au déni et à l’auto-manipulation.
Ce n’est pas toujours parce que ça fait mal, que c’est mal.
S’il est inutile de rajouter de la souffrance en s’accrochant avec le mental, il y a pour autant des mal nécessaires. Comme celui de la chenille qui croit mourir dans son cocon, comme celui du deuil d’un amour qui ne répond plus à ce nom, ou celui du manque de ceux qu’on quitte pour prendre son envol.
Voilà une réalité peu mise en avant par les marchands de bien-être ou de spiritualité prête-à-porter. Lorsque j’accepte, corps et âme, de descendre dans mes ombres et de poser un regard aimant sur ce que j’y trouve, lorsque je consens à ressentir mes émotions enfouies, ce ne sont pas les portes du paradis qui s’ouvrent en premier mais bien l’autorisation à tous les traumas enfouis de remonter. Non pas pour me punir, ou me décourager, mais comme une réponse à ma vraie demande, pour m’offrir la possibilité d’être profondément accueilli.e, libéré.e, transformé.e. Cette réponse est l’inverse d’un échec, elle est la preuve que je marche sur un chemin de guérison.
Nous sommes les héritiers de ceux qui n’ont jamais fait de thérapie. Nous saignons leurs blessures laissées béantes. Nous portons le poids écrasant de leurs maux inexprimés, de leurs rêves oubliés, de leurs élans étouffés et de tout ce que des générations entières ont brillamment réussi à mettre sous le tapis. Si une partie de nous le subit, rappelons-nous qu’une autre partie de nous a passé ce contrat avec la vie.
Alors des souvenirs remontent, des situations se répètent, des rencontres réactivent des choses en nous, des symptômes physiques apparaissent, notre système nerveux verrouille le mode survie et nous conduit à l’épuisement…
« Qu’ai-je à y gagner ? » interroge le regard hagard de celui pris dans la tourmente qui a perdu ses forces, ses ressources et sa direction.
« Être conscient » lui répond la future version de lui qui l’attend de l’autre côté du pont. « Cela signifie, te voir en entier ». « Te libérer de tout ce qui t’empêche encore d’exister » pourrait-il ajouter.
Nous avons le droit de trouver cela insupportable, d’être révolté, de vouloir tourner le dos à cette incarnation, prendre le large et laisser notre arbre généalogique s’auto-détruire pour de bon.
Mais nous avons aussi le choix.
Le choix de ramener la sécurité à l’intérieur.
Le choix de cesser de lutter.
Le choix de ne plus croire les mémoires d’ailes brisées qui nous empêchent d’ouvrir les nôtres.
Le choix d’ancrer la confiance en faisant des petits pas dans la matière.
Et surtout le choix de nourrir l’espoir. Décider de croire que tout n’est pas perdu, qu’à toute heure, à tout âge, il existe un vaste champ de possibilités auquel je peux me connecter.
Le printemps est une saison difficile pour celui qui se sent fané de l’intérieur, qui se bat contre lui-même depuis si longtemps.
Alors oui bien sûr, le chant des oiseaux, les pâquerettes et le renouveau…
Mais dans cette lettre je m’adresse à toi, petit rayon de soleil qui voudrais juste parvenir à rayonner comme il se doit. Je te vois, je suis toi. Je sais combien c’est dur. Je suis tellement désolée que ton chemin soit passé par des expériences si éprouvantes que tu aies dû restreindre ta lumière. Qu’importe si tu peines à croire à ton accomplissement, car c’est un rendez-vous auquel tu es conduit inévitablement, et qui, comme le printemps, est imminent.