Ce paysage était une condamnation à se maintenir en vie.
Ce paysage était une condamnation à se maintenir en vie.
David Foenkinos
Depuis quelques mois, j’sais pas si j’t’ai dit, j’habite au paradis.
Difficile de t’en donner une exacte position car ici, ce n’est pas à une commune qu’on s’identifie ni aux limites d’une circonscription. Plutôt à un territoire entier qu’on ne se lasse jamais d’arpenter. Montagnes, ruisseaux et vallées, ensemble reliés par une eau ensoleillée, le lac de Serre-Ponçon.
Lorsqu’une amie m’a récemment demandé si j’avais pu emménager dans ma maison rêvée, j’ai réalisé que je l’avais déjà trouvée.
En guise de fondations, elle a le rythme des saisons. Le bois doré de ses immenses forêts pour porte d’entrée. Et pour toiture, le ciel étoilé que l’absence d’éclairage nocturne permet de côtoyer. Je navigue d’un versant à l’autre, comme on passe dans la pièce d’à côté.
J’aime sa profondeur, ses étendues sauvages, ses hauteurs. Le sinueux bitume et ses vapeurs. Les petits volatiles qui devant le moteur partent en éclaireurs.
J’aime son intensité. De la violence de ses orages à ses températures qui frôlent les extrémités… C’est sûr, elle ne fait pas les choses à moitié.
J’aime l’abondance qu’elle déverse en neige qui tombe qui s’accroche et qui reste et qui tombe encore, et surtout, sa lumière. Ah ! Sa lumière… Qui inonde tout le décor et n’en finit plus de lécher la terre.
Les arbres fruitiers ne sont pas épargnés par cette générosité. Cerisiers, poiriers, noyers… Tous semblent programmés pour produire en illimité, tellement de fruits qu’ils jonchent la chaussée, sans que personne ne vienne les ramasser. Ce qui m’a d’abord laissée interloquée. Un tel gâchis… Mais, si personne ne mange tes fruits, cela méritait-il de t’embêter à les fabriquer ?
Oui, a répondu l’arbre que je venais de questionner. Parce que le poids sur mes branches, parce que les oiseaux sur mes hanches. Parce que le rouge de la chair et du sang.
Parce que l’offrande à la terre qui me porte, me nourrit, me grandit. Oui, parce que je suis.
Étonnant territoire, qui a le secret charme et l’audace d’un papillon noir.
J’aime lui ressembler, j’aime y habiter.
Et même si j’apprécie le calme de cette campagne peu peuplée, je pourrais aussi te parler de ceux que j’y ai rencontrés. De leur chaleur, de leur simplicité. Des amitiés qui mettent du temps à s’installer et qui ensuite, sont solides comme des rochers.
Regarder ce qui est. Sans juger, sans commenter. Sa maison, son voisin ou son jardin potager. Sa vie présente ou passée. Contempler, le cœur heureux. Aimer en silencieux.
Sarah Morisse