On ne crée pas le créateur en soi ;
on le découvre puis on lui donne la parole.
On ne crée pas le créateur en soi ;
on le découvre puis on lui donne la parole.
Eric Emmanuel Schmitt
En poussant la porte de cette boutique en bois vieilli, j’ignorais ce que signifiait concrètement s’initier à la poterie, mais j’en avais très envie. Vers le fond, derrière la profusion de tasses, pots, vases, pichets, bols et autres plats en grès brut ou émaillé exposés sur les tables, empilés sur les étagères et sur d’épais tapis à même le sol, une étroite ouverture dans le mur et quelques marches à descendre mènent à l’atelier.
J’y rencontre la maîtresse des lieux. Ici, tout le monde l’appelle Mumu. Il ne passe pas dix minutes sans que depuis la rue quelqu’un ne la salue. Simple et distraite, elle m’apparaît en joyeux lutin, dont le rire sonore rayonne d’éclats enfantins. Une magicienne pleine d’espoir qui détient un super pouvoir : faire tourner la terre dans ses mains.
Tandis qu’elle me montre et m’explique les basiques pour débuter, je suis intimidée comme si elle me transmettait le secret d’une formule alchimique :
1- L’intention
« Ne pas aller sur le tournage sans idée car il y a des choses à anticiper. »
2 – L’ancrage
« Tant que tu n’épouses pas la terre avec ton corps et tes mains ça ne peut pas être malléable, mais ensuite il n’y a plus d’effort à faire. »
3 – L’alignement
« Appuie avec la même pression à la verticale et à l’horizontal sinon ça se décentre. »
Et lorsque je lui fais part de mon envie de m’en remettre à l’intuition, sans imaginer d’objet particulier, une dernière clé me fait presque tomber de mon tabouret :
4 – La maîtrise
« Tu dois connaître la technique avant de pouvoir laisser aller ta créativité. »
Je pourrais me mettre à pleurer tellement c’est beau.
Elle fait avec la terre ce que j’essaye de faire avec ma vie autant qu’avec les mots.
Donner corps à la matière, la faire monter grand et haut.
Oui, j’écris comme on fait de la poterie.
Je sélectionne une matière première, qu’il me faut ensuite malaxer, alléger, affûter, sculpter, couper, travailler, travailler et retravailler.
Au début je lutte, ça se décentre, ça casse ou ça se tasse.
Je voudrais l’histoire finie avant de l’avoir commencée.
Et puis à force de pratiquer, de patauger dans mon argile, j’apprends à composer avec la puissance de sa fragilité. Je finis par voir qu’une phrase bancale ou mal accrochée, tel un ourlet de glaise mal lissée, peut fournir une jolie histoire à raconter.
Parfois je laisse mes textes en attente dans le four, en vue d’une prochaine cuisson. Parfois ça ne m’empêche pas de préparer de nouvelles créations, et parfois j’ai besoin de terminer ce qui est entamé pour libérer de l’espace sur l’établi de mon front.
Mais toujours, je dois déboucher le crayon pour voir ce qui va en sortir.
Car comme le dit ce cher Eric Emmanuel Schmitt, je n’écris pas pour étaler ce que je pense, mais pour le découvrir.
En dehors d’un passage pour le sourire ou pour bavarder, Mumu ne m’a jamais revue à l’atelier. Non parce que je n’avais plus envie d’y mettre les pieds, mais parce que je me suis rappelée que j’avais dans les mains une autre terre à modeler, un monde intérieur entier à décorer.
Sarah Morisse