Car l’errance n’est ni le voyage, ni la promenade.
Mais bien : Qu’est-ce que je fais là ?
Car l’errance n’est ni le voyage, ni la promenade.
Mais bien : Qu’est-ce que je fais là ?
Raymond Depardon
Qu’est-ce que je fais là ?
Cette question, je l’ai longtemps entendue résonner en moi comme une sourde révolte, la marque d’un décalage, d’un raté, comme si toute ma difficulté à trouver ma place y était tatouée.
Qu’est-ce que je fais là ?
Dans cette région où le cœur m’a amenée, dans cette personnalité dans laquelle je peux me sentir enfermée, dans cette drôle d’époque où la vie m’a déposée, sur cette Terre dont je me sens parfois étrangère… Ai-je attendu la crise sanitaire pour trouver ce monde absurde et délétère ?
Bien sûr que non.
Qu’est-ce que je fais là ?
Une protestation plus qu’une interrogation, imprégnée tellement loin en moi que mes cellules se la posaient peut-être déjà au stade d’embryon.
Même si aujourd’hui pour ne rien te cacher, j’ai des réponses. Et des moyens pour aller les déterrer si besoin. Sous un certain angle, je ne peux plus prétendre ne pas comprendre, être perdue, désorientée. Les parois du bocal, à force d’être nettoyées, perdent en opacité. Tout devient clair, de plus en plus clair. Ce qu’il y a d’agaçant, avec la lucidité, c’est que pour pouvoir être un phare, elle nous ramène régulièrement au point de départ.
Ce point, c’est le point zéro. Celui du vide suspendu entre l’inspire et l’expire, celui du néant, du non temps.
Il n’y règne aucun élan.
Une pause dans la pause.
Une petite mort dans la mort.
Une disparition. Une dissolution.
Je ne fais pas exception à ces accès de confusion. Perte de sens, manque de confiance, hésitation reviennent à l’assaut encore et encore, en écho à toutes ces années d’errance qui n’en finissent plus de ricocher sur ma réalité.
Derrière les couches superficielles de déception et de culpabilité revendiquées par mon petit moi qui croit toujours qu’il doit bien s’appliquer et marcher droit, il y a de la tristesse. Une tristesse insondable, un gémissement de l’âme.
Une âme désemparée d’être mise de côté, nonchalamment ignorée, tandis qu’elle s’épuise à indiquer très exactement, trop simplement peut-être, comment habiter mon être, comment y faire pousser les graines qui y sont déjà plantées.
C’est une tristesse bien particulière, au doux-amer, que celle de ne pas œuvrer pour le monde mais d’avoir conscience d’être ici pour le faire.
Alors quand de nouveau résonne : Qu’est-ce que je fais là ?
Et à chaque fois que l’errance s’invite en moi…
Je me souviens que ce point fait partie du chemin.
Je cesse de lutter.
J’accepte d’être coincée là. En escale. Perdue dans l’océan abyssal de mon indécision générale.
J’écoute le vent que tu n’as jamais cessé de souffler, petite âme, et qui me ramène toujours à ce que je sais, depuis cette fulgurance de l’enfance qui contenait déjà le pourquoi de ma présence ici bas.
Petit prince de lumière…
Une étoile tombée sur la terre, apprenant à aimer l’immense obscurité qui lui permet de briller.
Sarah Morisse